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Un grand jour de fête

Le printemps à Paris fait briller sa lumière sur la photo de l'oncle Ho, sur la forêt de drapeaux

(Photo Lê Tấn Xuân)

30 Avril 1975 :

Cité Universitaire de Paris – 5h du matin : Depuis quelques jours, de nombreux étudiants de la résidence ont deviné et suivi régulièrement à la radio.

         La première personne à savoir que Saigon est devenue Ho Chi Minh-Ville est Mme X. La nuit précédente, elle n’avait pas pu dormir car elle écoutait les infos toutes les heures. Cinq heures du matin. Elle saute hors du lit, enfile rapidement sa chemise et court frapper à la porte de ses amis.

         L’annonce s’est propagée de porte en porte, jusqu’à ce que tout le monde se rassemble dans une pièce dans l’attente des nouvelles. Ils sont là, les uns contre les autres, certains ont éclaté de rire mais ont senti des picotements aux yeux. S’il y a un moment où la joie rend les gens incapables de dire autre chose que se serrer la main et s’embrasser, c’est bien à cet instant-là.

Ils ont été interviewés par la télévision française. Mr Y. et Mme S. ont dit qu’à cette époque, ils avaient tellement de choses à dire, mais leurs pensées ne cessaient de couler à flot, alors ils ne pouvaient qu’exprimer leur surprise, leur joie et leur rêve de reconstruire la patrie dans la paix et l’indépendance.

Orsay – Les locataires d’ici se lèvent plus tôt que d’habitude. Ils se sont recherchés, ils avaient besoin plus que jamais de la présence des camarades et amis, pour voir la joie sur chaque visage.

         C. a dit qu’aujourd’hui, « nous sommes allés à l’université et avons souri à toute personne rencontrée ». Il y a des gens qui se disputaient hier à cause d’opinions différentes, mais maintenant ils se voient et sourient. Parce que la victoire de la Révolution a apporté la paix à tous.

Antony – H. était en train de dormir quand il entendit frapper à grand coup à la porte. Tout le monde savait que ce complexe d’appartements pour étudiants était en cours d’expulsion, alors H. se plaignait : « Pourquoi si tôt ? ». « Qui est là ? ». La réponse lui parvint dans un souffle haletant : « Libérée ​​». « Saigon est libérée ».

         H. ouvrit la porte, ils se serrèrent dans les bras. C’est ainsi que le bonheur est arrivé si soudainement à H. Il s’habille rapidement et va prévenir toutes ses connaissances. Où qu’il aille, les gens sont déjà au courant. Il s’est avéré que la nouvelle arrive de toute part.

Ils ont voulu se rendre au siège de l’Union des Vietnamiens en France parce qu’il n’y a probablement aucun endroit aussi investi par les gens, surtout à ce moment unique. On peut dire que les étudiants vietnamiens en France ont vécu et grandi dans la dictature et l’asservissement. C’est la première fois dans leur vie de pouvoir savourer l’indépendance et la liberté, sans l’ombre d’un envahisseur sur le sol natal.

Mais quand ils s’apprêtent à partir, on leur avait proposé de ne pas s’y rendre là-bas ce matin, car la nuit dernière, les fascistes avaient fait exploser une bombe au siège1 . Après un moment de stupeur, ils ont recommencé à rire. Peut-être que la colère des fascistes a explosé au son de cette bombe.  Le son du désespoir.


1er Mai 1975 :

Rendez-vous au campus, rendez-vous au travail, rendez-vous au siège de l’Union. Ce n’est pas suffisant. Nous voici donc tous impatients d’assister à la manifestation célébrant la Journée internationale du Travail dans les rues de Paris avec les travailleurs français. Nous avons marché dans la vague humaine, nous avons chanté la chanson « Tiến quân ca » – Hymne national du Vietnam ; « Giải phóng miền Nam » – Libérons le Sud. Le printemps à Paris fait briller sa lumière sur la photo de l’oncle Ho, sur la forêt de drapeaux et sur chaque visage souriant comme tiré d’un sommeil bien paisible. Outre les étudiants, il y a des tontons, tatas et des personnes âgées. Il y avait un vieil monsieur qui était soutenu en raison de son âge. Il a attendu ce moment historique beaucoup plus longtemps que nous les jeunes. Plus on vieillit, plus l’attente est douloureuse. Aujourd’hui, alors qu’il ne peut plus marcher, aidons-le.

Le peuple de France a applaudi au passage de notre délégation. Il a salué la victoire du Vietnam. Nous souhaitons transmettre à notre pays l’enthousiasme du peuple français. Nous levons nos drapeaux en guise de remerciement, car cette grande victoire est une victoire commune des peuples épris de paix du monde entier. 

XXX

(Photo Lê Tấn Xuân)

Matin du 30 avril 1975

– 6h30, je viens de me réveiller, je m’apprête à allumer la radio pour écouter les infos quand le téléphone sonne. G. a annoncé la bonne nouvelle. Bouleversant, enivrant, historique, quel meilleur mot utiliser ?

Je voulais retrouver mes camarades tout de suite, mais ensuite je me suis dit que je devrais aller travailler, mes collègues m’attendent probablement. Au bureau de H., on me qu’il est allé me chercher, au bureau de S., il n’est pas là. En fin de compte, c’est à mon bureau qu’ils se sont pointés. Nous, les trois Vietnamiens de l’entreprise, nous nous sommes embrassés, avec des rires et des larmes dans les yeux. Puis les collègues français sont arrivés. Des poignées de main fermes, des félicitations chaleureuses. La joie n’était pas réservée qu’aux Vietnamiens.

Je dois m’occuper de quelques affaires inachevées d’hier et ensuite je dois partir. Je m’excuse auprès des collègues.

Après-midi

– J’ai fait une petite fête au restaurant puis je suis allé au siège de l’Union. Soulagé, seule la façade a été endommagée, mais il n’y a pas eu de dégâts significatifs à l’intérieur. Tonton H. et Tonton T. sont déjà là, en train de réparer. Les Vietnamiens en France ont-ils « l’honneur » d’entendre la dernière explosion de la guerre ? Les « fascistes » sont ridicules !

         En entrant à l’intérieur, j’ai immédiatement vu un magnifique bouquet de fleurs, je ne sais pas qui l’a offert, célébrant la victoire du Vietnam ; et une carte de visite d’un ami français : « Pour vous dédommager et présenter mes excuses et je suis extrêmement mécontent du comportement des « vandales ». Ci-joint un chèque de 200 F ».

En voyant tous les visages familiers, les membres du Comité exécutif et les jeunes camarades aussi enthousiastes que moi, chacun avait l’air aussi radieux que le ciel ensoleillé de mai. C’est dommage de ne pas pouvoir voir les visages de mes compatriotes au pays aujourd’hui. Nous nous sommes confié et discuté ensemble toute la journée.

Dans ma mémoire, c’est comme un film, les visages des membres de ma famille, de mes amis, les jours de manifestations passionnantes, les chorales, les camps d’été animés.

L’inquiétude infondée pour les proches à Saigon est probablement terminée maintenant, ne restant que dans les souvenirs. Oui, l’histoire a tourné la page trop vite, et chacun tirera ses propres leçons de cette lutte de trente ans, de cette issue extrêmement rapide et miraculeuse. Quant à moi, aujourd’hui encore, je suis abasourdi et bouleversé. Comment pourrai-je en être autrement ? Ce jour est aussi long que trente ans, aussi long que toute ma vie. Je ne pouvais penser à rien, car tout le passé revenait à la vie, depuis l’époque où je vivais paisiblement à Saigon, sans rien savoir du feu couvant qui était sur le point de s’embraser, jusqu’à ce que je parte en France pour étudier, et progressivement ouvert les yeux sur la réalité de la guerre du Vietnam, puis sont venues les séries de journées d’activités dans l’Union depuis 8 ans, avec de la joie, de la tristesse, de l’excitation, de la fatigue… Tout appartiendra au passé ; demain, je me précipiterai vers une nouvelle vie, avec une nouvelle passion sans limites.


Après-midi – M. et Mme L. nous ont appelés pour nous inviter à partager un gâteau et à boire du vin pour fêter l’événement. Nous nous sommes arrêtés chez le fleuriste pour acheter un bouquet de muguet et nous nous sommes soudainement rappelés qu’hier c’était l’anniversaire de P. Nous étions tellement occupés à lire le journal et à écouter la radio que personne ne s’en souvenait. Il faut une autre rose rouge.

Reportages de Doan Ket (03/05/1978)


  1. Article paru dans LE MONDE du 2 Mai 1975:
    Attentats contre les sièges d’associations franco-vietnamiennes ↩︎

ani88ht@gmail.com

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